M. le vicomte de Poli ayant fait hommage à M. le vicomte de Margon de ses Chansons Toscanes, le charmant poète octogénaire lui a fait l'honneur de répondre à ce modeste hommage par ces beaux "Vers inspirés qui jaillissent du coeur."
RAYONS ET OMBRES
D'un âge heureux, qui ne peut revenir,
Vos beaux Sonnets et vos Chansons jolies
Ont fait revivre en moi le souvenir :
Rayons et fleurs, triomphes et folies,
Tendres soupirs et timides aveux,
Serments d'amour, effluves de tendresse,
Franche gaîté, bals et festins joyeux,
Baisers dans l'ombre et délivrante ivresse,
Vers inspirés qui jaillissent du coeur,
Enchantements qui font l'âme ravie,
C'est le printemps, la jeunesse, la vie,
Sous le ciel bleu l'amour et le bonheur.
Puis vient l'automne, où l'âme se recueille,
Où l'esprit cherche à devenir fécond;
Lors, si l'amour, quand toute fleur s'effeuille,
Survit, plus calme, il devient plus profond,
Il ne meurt plus, car, de celle qu'il aime,
L'homme qui suit, en pleurant, le cercueil,
Sent que son coeur est, jusqu'au jour suprême,
Enveloppé dans un voile de deuil.
II est encor pour nous un deuil plein de tristesse :
C'est le deuil de notre jeunesse.
Dés que sur notre front la coquette a cru voir
Une ride, elle fuit; en vain on la regrette;
On l'appelle en pleurant, rien ne peut l'émouvoir;
On lui fait les yeux doux, on lui conte fleurette,
Prières, cris, appels demeurent superflus
Une fois envolée, elle ne revient plus.
Elle a, comme la mort, des rigueurs sans pareilles
On a beâu la prier,
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles
Et nous laisse crier !
A. De Margon